Corvus corax

Jeudi 10 août 2000

L'immeuble situé en face de la prison Saint-Paul voit ses accès continuellement surveillés par la police et les pompiers. Avec l'aide de Philibert, Simon parvient à s'introduire dans l'appartement du rez-de-chaussée à l'origine de ces mesures d'exception et découvre un petit F2 terriblement banal et entièrement dévasté, en cours d'examen par la police scientifique. Si tout l'appartement paraît avoir subi un tremblement de terre, c'est dans le salon que se concentrent les dommages. La pièce semble avoir été balayée par les flammes et son contenu aspiré avec une force terrible dans un de ses angles. Les murs et le sol sont décapés, les meubles concassés et accumulés en un mélange informe de débris dans la zone de dépression. Et là, se substituant aux esquilles de bois et de métal, un trou d'eau claire de faible profondeur tapissé de sable blanc ménage un point de calme irréel au milieu du désastre. Un poisson endémique de l'océan Indien y donne quelques coups de nageoire, dans un vif éclat bleu et jaune.

La Clairvoyance de Simon lui permet d'obtenir la vision fugace d'un atoll paradisiaque au ciel déchiré par une colonne de flammes qui vient frapper l'océan dans une nuée de vapeur blanche. Il détecte également la présence rémanente de Karma Lumière qui serpente sur le sol de l'appartement selon des figures géométriques complexes. Il s'avère que tout le salon est couvert d'une épaisse plaque de résine incluant des pistes d'or, de cuivre et d'argent dessinant un dédale rendu illisible par le sinistre. Ou une sorte d'énorme circuit imprimé comme peuvent l'indiquer les restes de batteries connectés à l'installation.

Une virée nocturne visant à approfondir les recherches tourne court et Simon est rapidement appréhendé par les deux policiers en faction qui s'apprêtent à le faire envoyer au poste. Si Simon parvient à se soustraire à la vigilance des policiers et à assister à leurs échanges inquiets avec leur hiérarchie, il n'en reste pas là et choisit de se révéler à eux et leur supérieur arrivé sur les lieux en voiture entre temps. Lame-Soeur en main, il déclenche de fait les hostilités et alors que les armes se braquent sur lui et que la BMW du nouveau venu le charge, la foudre frappe. Au milieu des cris exaspérés des détenus de la proche prison, dans la nuit tropicale de ce mois d'août, un arc électrique déchire l'air, jaillit de la lame égyptienne de Simon et neutralise la voiture qui broie la jambe d'un des policiers.

Contre toute attente, le déluge de coups de feu et de Versets ne vient pas. Les deux parties temporisent, parlementent, concèdent et se révèlent. C'est un ecclésiastique qui sort de la voiture, épaulé de ses gardes du corps, Monseigneur Ruiz. L'homme, calme et résolu, réduit la grave fracture du policier d'un geste sacré et d'un murmure tandis que Simon termine le travail avec le Verset "Pleurs" en témoignage de bonne volonté.

Monseigneur Ruiz représente l'Ekklêsia de Lyon et appartient à l'Alliance Lyonnaise qui avec les Compagnons de l'Oblat, les Sybils, les Lions et les Hermès Trois Mages veillent à empêcher la destruction de la cité par le feu infernal qui couve dans ses entrailles. La situation est exceptionnelle et justifie une trêve, aussi explique-t-il que les Trinités, au sujet desquelles il a quelque connaissance, et l'Alliance peuvent trouver un arrangement. Quelqu'un met en péril l'équilibre des forces tissées sur la ville et menace de libérer le mal. Cette personne est vraiemblablement le propriétaire de l'appartement, Grégoire Garnier, un Hermès qui, selon Ruiz, cherche à retourner "de l'autre côté". Peut-être à forcer les Jardins. A moins qu'il ne s'agisse de retrouver le sang du Sagittaire qui serait au coeur des recherches de ce Huit en quête d'illumination, d'accomplissement spirituel et de connaissance. Les Hermès cherchent à réveiller les Archontes et Devas censés avoir été détruits par les flèches du Sagittaire, les réveiller pour les lier. Et devenir des Trinités.

L'appartement de Garnier, au 14 rue Saint-Georges, est l'exemple même du vieux logis lyonnais, envahi de rayonnages et de bibelots, plein à craquer de documents et de livres. Chimie, physique, électronique côtoient des plans de Lyon et d'abondantes archives comptables. Simon et Philibert y passent la nuit, découvrant à cette occasion que l'appartement a déjà été visité. Ils saisissent rapidement que Garnier est un érudit et un chef d'entreprise qui administrait BNR Procédés, une petite société de Feyzin aux résultats flatteurs. Ces bonnes performances ne résistent pourtant pas à l'analyse car c'est Garnier qui renfloue ses comptes grâce à d'importantes sommes d'argent (des millions de francs) qu'il touche deux ou trois fois par an. Apparemment, Garnier tient à jour une liste très documentée d'acheteurs intéressés par des trésors archéologiques extrêmement rares et exclusifs. Il apparaît également que tous les documents relatifs à une société Qualistra (un bureau d'études en infrastructure de transport) ont disparu.


Le butin comprend de nombreux autres éléments. Une liste d'adresses, des documents scolaires de Garnier datant de la fin du XIX° siècle, des coupures de presse relatives à l'effondrement de la colline de Fourvière en 1930 et à la survie miraculeuse du petit Robin Flachet, une montre à gousset brisée accompagnée d'une note "Ainsi tu auras toujours une bonne raison de venir me voir", le crâne surdimensionné d'un corbeau.

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