A droite dans le sens de la circulation


Vendredi 11 août 2000

Qualistra est le bureau d'étude qui a pris en charge la conception, le tracé et la maîtrise d'oeuvre de la ligne D du métro de Lyon à la fin des années 80 et début 90. A cette occasion, il y a laissé sa crédibilité et beaucoup d'argent : une malfaçon grossière a retardé le projet de plusieurs mois et a débouché sur un procès retentissant établissant que le cabinet s'est rendu coupable d'une faute professionnelle manifeste. Le chef de projet, Clément Lavergne, s'est lourdement trompé dans ses calculs et fait forer une galerie sous Fourvière nettement plus au nord que ce que le plan initial prévoyait.

Une rapide enquête auprès de Qualistra (notamment de son dirigeant, Henri Clavel) et la consultation de la presse locale indiquent que Lavergne a été licencié et fait profil bas depuis cette affaire. Il a été facile de retrouver sa trace dans un très bel appartement des Brotteaux et lui faire avouer que Grégoire Garnier l'avait grassement payé pour modifier le tracé de la ligne. Lavergne savait qu'il sacrifiait sa carrière mais 14 millions de francs ont fait passer la pilule. Garnier savait parfaitement ce qu'il faisait et Lavergne ne doutait pas que sa manipulation serait découverte, aussi ont-ils préparé l'avenir de cette "déviation" en ménageant un accès depuis un local technique placé entre les stations Vieux Lyon et Gorge de Loup. Pour autant Lavergne ne connaissait pas le réel objectif de Garnier, même s'il devinait qu'il s'agissait sans doute d'une sorte de forage et que des inconnus semblaient très intéressés par le projet. Garnier les repoussait, affirmant qu'il ne "braderait pas sa vie et ses souvenirs pour en faire du vulgaire charbon".

Anne Bérenger, une journaliste freelance spécialisée en culture underground a couvert l'affaire à l'époque et, souhaitant faire un simple papier décalé sur les mystères souterrains de Lyon dont cette fameuse voie fantôme, s'est émue de découvrir le silence pesant qui entourait le sujet. Ses amis cataphiles évoquent cette question à mots couverts, murmurent que les pouvoirs publics ont caché quelque chose, qu'il y aurait eu des accidents, voire des morts et que les autorités ont quelque chose à se reprocher. Comme si cette zone n'avait jamais été réellement condamnée et qu'il était entendu qu'elle devait être évitée.

L'investigation nocturne du tunnel du métro D est menée par Lavergne lui-même. A quelques mètres de la précieuse porte censée conduire à la galerie fantôme, quatre hommes puants et loqueteux agressent misérablement les Trinités qui s'en débarrassent sans peine. Des Dévorés, dont un a fait la démonstration d'une capacité dégoûtante à suggérer d'effroyables mutilations sur son corps. De quoi faire vaciller les plus endurcis.

Un rapide échange de coups de feu, la foudre qui s'abat par deux fois et le tunnel s'enfonce un peu plus dans l'obscurité qui avale les silhouettes des corps ensanglantés tordus sur le mâchefer. La porte est là, pulsant de Karma Lumière, et Lavergne tourne la clé qu'il a conservée depuis si longtemps. L'accès aux enfers lyonnais, au légendaire lac souterrain, au sang du Sagittaire ?

Sous la lumière des torches, le rectangle d'obscurité s'anime dans crissement et la masse compacte de becs noirs et luisants, de plumes charbonneuses, d'yeux brillants comme des gouttes d'huile frémit. C'est un monstre sans forme que l'on dérange dans son sommeil. Puis la clameur de milliers de lointains croassements jaillit dans une onde de chaleur poisseuse et des centaines de cous s'étirent vers les intrus, les corps engourdis glissent, s'ébrouent. Envahie d'oiseaux soupçonneux, une galerie puant l'ammoniac et au sol blanchi de fientes se révèle et s'enfonce au cœur de Fourvière.

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